Gabriel
CAMPS
[Islam :
société et communauté. Anthropologies du Mahgreb,
sous la direction de Ernest Gellner, les Cahiers C.R.E.S.M, Éditions
CNRS, Paris, 1981.]
Connus
depuis l’antiquité pharaonique sous les noms de Lebu, Tehenu, Temehu,
Meshwesh, les Berbères subsistent dans un immense territoire qui
commence à l’ouest de l’Égypte. Actuellement des populations
parlant le berbère habitent dans une douzaine de pays africains,
de la Méditerranée au sud du Niger, de l’Atlantique au voisinage
du Nil.
Mais
cette région qui couvre le quart Nord-Ouest du continent n’est
pas entièrement berbérophone, loin de là ! Aujourd’hui,
dans cette région, l’arabe est la langue véhiculaire, celle
du commerce, de la religion, de l’État, sauf dans la marge méridionale,
du Sénégal au Tchad où la langue officielle est le
français. Ainsi, les groupes berbérophones sont isolés,
coupés les uns des autres et tendent à évoluer d’une
manière divergente. Leur dimension et leur importance sont très
variables. Les groupes kabyle en Algérie, Braber et Chleuh au Maroc
représentent chacun plusieurs centaines de milliers d’individus
tandis que certains dialectes, dans les oasis, ne sont parlés que
par quelques dizaines de personnes. C’est la raison pour laquelle les
cartes d’extension de la langue berbère n’ont pas grande signification.
Le territoire saharien couvert par les dialectes touareg (tamahaq) en
Algérie, Libye, Mali et Niger est immense mais les nomades berbérophones
qui le parcourent et les rares cultivateurs de même langue ne doivent
guère dépasser le nombre de 250 ou 300 000. Ils sont à
peine plus nombreux que les habitants du Mzab qui occupent dans le Sahara
septentrional, un territoire mille fois plus exigu. Le bloc kabyle est
dix fois plus peuplé que la région aurasienne, plus vaste,
où est parlé un dialecte berbère différent.
En
fait il n’y a aujourd’hui ni une langue berbère, dans le sens où
celle-ci serait le reflet d’une communauté ayant conscience de
son unité, ni un peuple berbère et encore moins une race
berbère. Sur ces aspects négatifs tous les spécialistes
sont d’accord… et cependant les Berbères existent.
LÉGENDES
ANTIQUES ET MODERNES SUR LES ORIGINES DES BERBÈRES
Hercule
et les calembours
Rares
sont les peuples comme les Berbères dont les origines ont été
recherchées avec autant de constance et d’imagination. Dès
la plus haute Antiquité, des récits circulaient dans les
milieux savants et chez les mythographes sur les origines des habitants
de l’Afrique. Le plus connu, parce que des générations de
lycéens pâlirent sur les pages du De Bello Jugurthino,
nous est rapporté par Salluste.
La
légende des origines perse et mède
Les
premiers habitants de l’Afrique furent, dit Salluste, les Gétules
et les Libyens, gens grossiers et barbares qui se nourrissaient de la
chair des bêtes sauvages ou de l’herbe des prés, à
la façon des troupeaux. Plus tard, des Mèdes, des Arméniens
et des Perses conduits par Hercule en Espagne, passèrent en Afrique
et se mêlèrent, les premiers avec les Libyens, les Perses
avec les Gétules. Tandis que les Mèdes et Libyens, bientôt
confondus sous le nom de Maures, eurent de bonne heure des villes et échangèrent
des produits avec l’Espagne, les Gétules et les Perses condamnés
à une vie errante, prirent le nom de Nomades. Cependant la puissance
de ces derniers s’accrut rapidement, et sous le nom de Numides, ils conquirent
tout le pays jusqu’au voisinage de Carthage.
Cette
légende, Salluste n’en revendique nullement la paternité
; il dit même qu’elle est contraire à la tradition la plus
répandue (et que nous ne connaissons pas) mais qu’elle est, en
revanche, admise par les indigènes. Il la rapporte d’après
une traduction qui lui aurait été faite des livres puniques
du roi Hiempsal (libri punici qui regis Hiempsalis dicebantur).
De
la première époque, antérieure à Hercule,
ou plus exactement Melqart, le dieu phénicien qui fut assimilé
au fils d’Alcmène, Salluste donne le cliché habituel par
lequel l’érudit moyen dépeint, à tort, les temps
primitifs. Ces Libyens et Gétules, chasseurs et cueilleurs, sont
bien évidemment des peuples de la Préhistoire que Salluste,
ou plutôt Hiempsal, rejette dans les temps mythiques. Il nous faut
cependant retenir l’existence de deux éléments de population
dans l’Afrique la plus archaïque. Quel fait permettait d’établir
cette distinction sinon une différence dans les genres de vie née
elle-même des conditions géographiques et par conséquent
de la localisation de ces peuples ? Or, de l’avis unanime des historiens
anciens et modernes, les Gétules étaient des nomades dont
on trouve les traces évanescentes depuis les rives de l’Océan
jusqu’au golfe des Syrtes. Pour les écrivains classiques, étaient
généralement qualifiés de Gétules tous les
nomades méridionaux distincts des Éthiopiens et des Garamantes.
Les Gétules étant nomades on en déduit que les Libyens
d’Hiempsal, ceux qui "eurent de bonne heure des villes" étaient
les ancêtres des sédentaires.
Cette
distinction élémentaire, et banale, avait été
faite bien avant Hiempsal ou Salluste puisque le père de l’Histoire
lui-même, Hérodote (IV, 181, 186, 191), après avoir
décrit une longue suite de peuplades depuis l’Égypte jusqu’au
lac Triton, précisait :
"Je
viens d’indiquer les Libyens nomades qui habitent le long de la mer. Au-dessus
d’eux, à l’intérieur des terres, se trouve la Libye des
bêtes sauvages... Mais au couchant du Lac Tritonis (c’est-à-dire
au Nord étant donné l’orientation incorrecte attribuée
à la côte à partir des territoires carthaginois) les
Libyens ne sont plus nomades et n’ont plus les mêmes coutumes...
ce sont des Libyens cultivateurs... Ils ont des maisons et sont appelés
Maxyes". Dans un raccourci assez simpliste mais exact, Hérodote
oppose "la Libye orientale (où) habitent les nomades (qui)
est basse et sablonneuse jusqu’au fleuve Triton, et celle à l’occident
de ce fleuve, habitée par les cultivateurs (qui) est très
montagneuse, très boisée... ".
Cette
dernière phrase a une portée considérable car elle
n’est pas applicable au seul territoire carthaginois du Sahel qui est
particulièrement plat, mais à la totalité de l’Afrique
du Nord, le pays de l’Atlas.
Le
Triton qui s’identifie au golfe de Gabès est donc une limite géographique
importante, particulièrement nette et précise dans l’esprit
d’Hérodote, qui marque le partage entre les Nomades et les cultivateurs
habitant des maisons.
C’est
encore par les grands chotts tunisiens que les géographes font
aujourd’hui aboutir la limite méridionale de l’Afrique du Nord
; la coïncidence serait curieuse si elle n’était précisément
dictée par la nature.
Mais
que viennent faire les Perses, les Mèdes et les Arméniens
dans le récit des origines numides et maures ? Certes il est traditionnel,
dans les textes antiques, que l’origine des peuples soit située
en Orient et que des Orientaux soient impliqués dans le peuplement
de la Libye occidentale, cela répond à un cliché
habituel. Mais pourquoi les Perses et les Mèdes qui, Grecs et Latins
le savaient bien, ne pouvaient être considérés comme
des peuples de navigateurs? Revoyons de plus près le texte de Salluste :
"Les Mèdes, les Perses et les Arméniens qui faisaient
partie (de l’armée d’Hercule mort en Espagne) passèrent
en Afrique sur des vaisseaux et occupèrent les pays voisins de
notre mer. Les Perses s’établirent plus loin que les autres, du
côté de l’Océan... peu à peu ils se fondirent
par des mariages avec les Gétules". La localisation méridionale
des prétendus Perses nous apporte paradoxalement l’explication
de leur présence inattendue dans la partie occidentale de la Maurétanie,
celle que les Romains nommèrent Maurétanie Tingitarie, dans
le Maroc actuel. De nombreux auteurs grecs ou romains, Strabon, Pline
citant Polybe, Pomponius Mela, Ptolémée, le géographe
anonyme de Ravenne, Priscien de Césarée recopiant Denys
le Périégète et bien d’autres que J. Desanges a patiemment
relus, font connaître dans le Sud du Maroc, vraisemblablement entre
l’Atlas, le Draa et le Guir deux peuplades, les Pharusiens et les Perorsi.
La ressemblance entre les noms et une localisation très voisine
ont fait admettre à certains auteurs, S. Gsell en particulier,
qu’il s’agissait d’un seul et même peuple.
Ce
n’est pas sûr, mais il est en revanche, tout à fait admissible
que l’analogie ou l’homonymie factice entre Pharusii, Perorsi et Persae
soit à l’origine de la prétendue arrivée des Perses
en Maurétanie. De fait, Pline l’Ancien rappelle incidemment que
les Pharusii, qu’il nomme parfois Perusii, sont les descendants des Perses
conduits par Hercule aux limites occidentales du monde habité (V,
46).
Un
autre calembour, mode de pensée analogique dont les auteurs de
l’Antiquité étaient très friands, explique de même
la présence des Mèdes en Afrique. De nombreuses tribus paléoberbères
portaient, dans l’Antiquité, le nom de Mazices. Il s’agit en fait
du nom que les Berbères se donnent eux-mêmes Imazighen (au
singulier Amazigh.). Ce nom a été transcrit par les étrangers
sous des formes variées : Meshwesh par les Égyptiens, Mazyes
et Maxyes par les Grecs, Mazices et Madices par les Latins. Au XIVe
siècle, le grand historien lbn Khaldoun explique qu’une branche
des Berbères, les Branès, descend de Mazigh. Que certains
habitants de l’Afrique antique aient déjà placé quelque
ancêtre Mazigh ou Madigh en tête de leur généalogie
ne saurait étonner puisqu’ils se sont, de tous temps, donné
ce nom. De cette appellation viendrait donc l’apparition des Mèdes,
ancêtres des Maures, en compagnie des Perses devenus les Pharusiens.
Quant
aux Arméniens, leur présence légendaire doit s’expliquer
par une semblable analogie avec quelque tribu paléoberbère
dont le nom n’a malheureusement pas été conservé,
à moins que l’on rapproche arbitrairement ces prétendus
Arméniens de l’obscure tribu des Ourmana qui, au temps d’Ibn Khaldoun,
c’est-à-dire au milieu du XIVe siècle, nomadisait
dans la partie orientale du Maghreb.
Origines
cananéennes
Bien
plus illustre est le récit, nettement plus récent puisqu’il
date du VIe siècle de notre ère, que nous donne
Procope sur l’origine des Maures, terme générique qui, à
l’époque, désignait tous les Africains qui avaient gardé
leurs traditions et leur genre de vie en dehors de la culture citadine
développée par Rome. Selon Procope, la conquête de
la Terre Promise par Josué avait provoqué le départ
des peuples qui occupaient le littoral. Ceux-ci, après avoir tenté
de s’établir en Égypte qu’ils trouvèrent trop peuplée,
se dirigèrent vers la Libye qu’ils occupèrent jusqu’aux
Colonnes d’Hercule (détroit de Gibraltar) en fondant un grand nombre
de villes. Procope précise : Leur descendance y est restée
et parle encore aujourd’hui la langue des Phéniciens. Ils construisirent
aussi un fort en Numidie, au lieu où s’élève la ville
de Tigisis. Là, près de la grande source, on voit deux stèles
de pierre blanche portant gravée en lettres phéniciennes
et dans la langue des Phéniciens, une inscription dont le sens
est : " nous sommes ceux qui avons fui loin de la face du brigand
Jésus (= Josué) fils de Navé " (II, 10, 22).
Procope
avait accompagné en Afrique le général byzantin Bélisaire
et son successeur Solomon qui combattirent dans la région de Tigisis,
au Sud de Cirta (Constantine) ; il avait vraisemblablement vu ou pris
connaissance de l’existence de stèles puniques ou plus sûrement
libyques. Cette région (Sigus, Sila, Tigisis) est précisément
riche en grandes stèles, parfois véritables menhirs sculptés
portant des dédicaces libyques. Ces énormes pierres (dont
deux sont aujourd’hui au Musée de Constantine), supports d’inscriptions
mystérieuses ou mal comprises de pauvres clercs de Numidie centrale,
sont peut-être à l’origine du récit "historique"
de Procope.
Ce
récit s’appuie aussi sur une autre donnée dont nous trouvons
la trace, un siècle plus tôt, dans une lettre de Saint Augustin.
"Demandez – écrit-il –, à nos paysans qui ils sont :
ils répondent en punique qu’ils sont des Chenani. Cette forme corrompue
par leur accent ne correspond-elle pas à Chananaeci (Cananéens)
?".
On
a longtemps discuté sur le fait que les paysans africains voisins
d’Hippone aient encore parlé le punique au Ve siècle
de notre ère, plus d’un demi millénaire après la
destruction de Carthage. C. Courtois (1950) s’était demandé
si par l’expression "punice" Saint Augustin ne voulait pas désigner
un dialecte berbère. Ses arguments n’emportèrent pas la
conviction, et comme Ch. Saumagne (1953) et A. Simon (1955), je crois
que Saint Augustin faisait réellement allusion à un dialecte
sémitique. Bien qu’aucun texte ne vienne appuyer cette hypothèse,
il est fort admissible que les Phéniciens aient eux-mêmes
introduit le nom de Cananéens en Afrique. Plusieurs savants pensent
même, comme A. di Vitta (1971), que le récit de Procope doit
s’expliquer par le souvenir confus de la plus ancienne expansion phénicienne
en Occident qui précéda largement la fondation de Carthage.
Autres
origines légendaires de l’Antiquité
Elle
n’est pas la seule que nous ait transmise l’Antiquité. S. Gsell,
grâce à son incomparable érudition, a eu le mérite
de les classer. Retenons les principales : selon Strabon, les Maures étaient
des Indiens venus en Libye sous la conduite de l’inévitable Héraklès
; nous verrons que certains auteurs modernes ont voulu appuyer cette origine
légendaire d’arguments scientifiques. Une origine orientale plus
proche est proposée, pour les Gétules, par l’historien juif
Flavius Joseph. Commentant le chap. X de la Genèse, il affirme
tranquillement que l’un des fils de Koush, Euilas est le père
des Euilaioi "qui sont aujourd’hui appelés Gaitouloi
: Gétules". D’autres étymologies aussi fantaisistes
parsèment le récit de Flavius Joseph : ainsi Ophren, petit
fils d’Abraham, serait allé conquérir la Libye ; ses descendants
auraient donné le nom d’Afrique au pays.
Mais
d’autres origines leur sont prêtées, surtout chez les auteurs
grecs ; ainsi Hérodote dit que les Maxyes, qu’on peut identifier
à des Berbères sédentaires, cultivateurs, se prétendaient
descendre des Troyens. En écho à cette tradition si répandue
dans le monde classique, répondent plusieurs assertions :
Hécatée mentionne une ville de Cubos fondée par les
Ioniens auprès d’Hippou Akra, l’actuelle Bône-Annaba. Dans
la même région était située la ville de Meschela
qui était, selon Diodore de Sicile, une création grecque.
Ainsi
Plutarque, qui s’inspire vraisemblablement de Juba II, le savant roi de
Maurétanie contemporain de l’empereur Auguste, dit que Héraklès,
toujours lui ! avait laissé, dans le Nord de la Maurétanie
Tingitane, des Olbiens et des Mycéniens. Or Ptolémée
cite parmi les peuples de cette contrée les Muceni dont le nom
semble bien être à l’origine de cette autre légende.
Légendes
médiévales sur les origines des Berbères
Les
historiens du Moyen Age, par de nombreux traits, conservent cette mode
de pensée antique et, en Orientaux étroitement asservis
au système patriarcal, sont particulièrement friands de
généalogies interminables aussi ont-ils donné ou
répété de nombreuses légendes sur les origines
des Berbères. lbn Khaldoun, le plus grand d’entre eux, a consacré
un chapitre entier de sa volumineuse Histoire des Berbères aux
multiples généalogies que des écrivains de langue
arabe, qui étaient souvent d’origine berbère, ont présentées
avant lui. Tous donnent une origine orientale aux différentes fractions.
La plus courante se rattache à celle déjà relatée
par Procope. El Bekri les fait chasser de Syrie-Palestine par les Juifs,
après la mort de Goliath. Il s’accorde avec El Masoudi pour les
faire séjourner très peu de temps en Égypte. Selon
d’autres, les Berbères seraient les descendants de Goliath (Djolouta).
Or il n’est pas sans intérêt de noter que Goliath et Aguelid,
qui veut dire roi dans les dialectes berbères du Nord, sont deux
noms de la même famille. Ifricos, fils de Goliath, les aurait conduits
en Afrique qui lui doit son nom (Ifrîqiya).
Ibn
Khaldoun lui-même prend fermement position en faveur de ce qu’il
appelle "le fait réel, fait qui nous dispense de toute
hypothèse… : les Berbères sont les enfants de Canaan,
fils de Cham, fils de Noé, ainsi que nous l’avons déjà
énoncé en traitant des grandes divisions de l’espèce
humaine. Leur aïeul se nommait Mazigh ; leurs frères étaient
les Gergéséens (Agrikech) ; les Philistins, enfants de Casluhim,
fils de Misraïrn, fils de Cham, étaient leurs parents. Le
roi, chez eux, portait le titre de Goliath (Djalout). Il y eut en Syrie,
entre les Philistins et les Israélites, des guerres rapportées
par l’histoire, et pendant lesquelles les descendants de Canaan et les
Gergéséens soutinrent les Philistins contre les enfants
d’Israël. Cette dernière circonstance aura probablement induit
en erreur la personne qui représenta Goliath comme Berbère,
tandis qu’il faisait partie des Philistins, parents des Berbères.
On ne doit admettre aucune autre opinion que la nôtre ; elle est
la seule qui soit vraie et de laquelle on ne peut s’écarter"
(traduction de Slane).
Malgré
cette objurgation d’lbn Khaldoun, nous devons également tenir compte,
car elle n’est pas sans conséquence, d’une autre opinion qu’il
nous rapporte avec précision : "Tous les généalogistes
arabes s’accordent à regarder les diverses tribus berbères
dont j’ai indiqué les noms, comme appartenant réellement
à cette race ; il n’y a que les Sanhadja et les Ketama dont l’origine
soit pour eux un sujet de controverse. D’après l’opinion généralement
reçue, ces deux tribus faisaient partie des Yéménites
qu’lfricos établit en Ifrikia lorsqu’il eut envahi ce pays.
D’un
autre côté, les généalogistes berbères
prétendent que plusieurs de leurs tribus, telles que les Louata,
sont Arabes et descendent de Himyer ..."
Du
Caucase à l’Atlantide
Les
auteurs modernes, européens, ont longtemps été très
partagés sur les origines des Berbères. Ils se sont montrés,
tout en affectant d’appuyer leurs hypothèses d’arguments scientifiques,
autant, sinon plus, imaginatifs que leurs prédécesseurs
antiques ou médiévaux.
Au
cours du XIXe siècle et encore au début du nôtre,
les explications et propositions diverses peuvent s’ordonner suivant deux
types de recherches, les unes sont d’ordre philologique et présentées
surtout par les érudits allemands, les secondes sont archéologiques
ou anthropologiques et sont l’œuvre de Français.
Cananéens
ou Indiens?
Philologues
et orientalistes, s’appuyant les uns sur les récits grecs et latins,
les autres sur des textes arabes, ont cherché à étayer
l’origine orientale par des arguments nouveaux. Movers accorde toute créance
aux récits de Salluste et de Procope. Il estime que les Cananéens
fugitifs seraient passés en Afrique sur les vaisseaux des Phéniciens
et, se mêlant aux Libyens primitifs qu’ils auraient initiés
à l’agriculture, seraient devenus les Libyphéniciens que
mentionnent plusieurs textes antiques. Nous avons vu, qu’à l’époque
actuelle, certains auteurs, comme A. di Vitta, pensent effectivement que
la tradition cananéenne conserve le souvenir estompé d’une
expansion antérieure à la fondation de Carthage.
Le
développement de l’égyptologie favorisa également
la tradition orientale car plusieurs savants ont cru que les Hyksos, originaires
d’Asie mineure et de Syrie, chassés d’Égypte, se réfugièrent
en partie en Afrique et se seraient mêlés aux Libyens.
Kaltbrunner
et Ritter apportent, eux, les "preuves" à l’appui de
l’origine indienne des Maures proposée par Strabon ; ainsi selon
eux le nom de Berbère est analogue à celui des Warlevera,
très anciens occupants du Dekkan. Le port de Berbera, en Somalie,
les Barabra (singulier Berberi) qui habitent entre la première
et la quatrième cataracte sur le Nil, et le toponyme Berber au
Soudan leur semblent autant de jalons linguistiques entre le sous-continent
Indien et le Maghreb.
Une
origine grecque ou égéenne a été, en revanche,
vigoureusement défendue par le Dr Bertholon dans les premières
années du XXe siècle. Il recensa avec une totale
imprudence les noms et les mots berbères qui, selon lui, auraient
une racine grecque ou préhellénique. En collaboration avec
E. Chantre, il rédigea un volumineux ouvrage sur les Recherches
anthropologiques dans la Berbérie orientale (1913) où
il appuie d’arguments anthropologiques, voire ethnologiques, son opinion
sur les origines de ces populations. Bravement les auteurs osent écrire :
La céramique berbère se divise en trois grandes classes
- céramique
grossière à la main rappelant celle des dolmens, particulière
surtout aux tribus de la grande race dolichocéphale ; son aire
d’extension est celle de cet élément ethnique ;
- céramique
à la main rappelant les modèles primitifs de la mer Égée…
Cette céramique correspond avec la répartition des populations
comprenant une proportion appréciable de dolichocéphales
de petite taille;
- Céramique
au tour, ornée par incisions, origine Gerba, pays de brachycéphales,
a essaimé à Nabeul puis à Tunis, d’inspiration
cypriote, moins archaïque que la précédente (p.
560).
Voilà
à quelles étranges conclusions aboutissent des recherches
reposant sur des présupposés et la certitude d’une permanence
absolue des types humains et des techniques à travers les millénaires !
Berbères,
Gaulois et dolmens
La
recherche des origines aurait dû, semble-t-il, tirer un bénéfice
plus sûr du développement de l’Archéologie en Afrique
du Nord, et particulièrement de la fouille des monuments funéraires
mégalithiques si nombreux en Algérie orientale et en Tunisie
centrale. Hélas ! dans ce domaine, plus encore qu’ailleurs,
les préjugés ethniques, voire nationaux, devaient engendrer
les pires erreurs. Les dolmens nord-africains attirèrent très
tôt l’attention des voyageurs européens. Shaw, dès
le milieu du XVIIIe siècle, signalait ceux de Beni Messous
près d’Alger. En 1833 le capitaine Rozet les décrit sous
le nom de "monuments druidiques voisins de Sidi Ferruch". Le
chirurgien Guyon fut le premier en 1846 à y entreprendre des fouilles.
Dans le compte rendu très sérieux qu’il présenta
à l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres il écrit
: "ils ont tout à fait l’aspect des monuments druidiques
que j’ai vus à Saumur et sur d’autres points de la France. Aussi
quelques archéologues les attribuent aux Gaulois qui servaient
dans les armées romaines, mais on serait tout aussi autorisé
à les rapporter aux Vandales…".
Le
désir de retrouver, de part et d’autre de la Méditerranée,
les mêmes faits archéologiques, expliquait et justifiait
en quelque sorte la présence "celtique" puis française
en Algérie. Cela paraît encore chez l’un des meilleurs archéologues
et arabisants du Second Empire, L. Ch. Feraud qui commence ses recherches
en 1860. Trois ans plus tard il entreprend, avec le paléontologue
anglais Christy (celui-là même qui, avec E. Lartet, commençait
l’exploration préhistorique de la vallée de la Vézère),
les fouilles de la vaste nécropole mégalithique de Ras el
Aïn Bou Merzoug, dans le voisinage de Constantine et acquiert la
conviction que les dolmens sont les tombeaux des "Gallo-romains"
établis en Afrique.
À
cette époque héroïque de l’archéologie préhistorique
tous les arguments, même les plus spécieux, étaient
présentés pour affirmer l’origine celtique, donc française,
des dolmens algériens. En 1862 paraissait, dans la série
des célèbres Guides Joanne, l’itinéraire historique
et descriptif de l’Algérie de L. Piesse. À la page 71
de cet opuscule on trouve une description sommaire des dolmens de Beni
Messous attribués à une "légion armoricaine".
"Cette hypothèse, ajoute L. Piesse, peut s’appuyer
sur une inscription tumulaire trouvée à Aumale. On y lit
qu’un nommé Gargilius, tribun, commandant des vexillaires et d’un
corps indigène était aussi chef d’une cohorte bretonne,
décurion d’Auzia et de Rusguniae en l’année 263 de l’ère
chrétienne ... ". Or Gargilius Martialis avait, en réalité,
commandé la première cohorte des Astyres dans la province
de Bretagne (c’est-à-dire la Grande Bretagne) avant de venir en
Afrique où il périt sous les coups des Bavares révoltés.
On voit que les rapprochements proposés par L. Piesse n’étaient
qu’une amusante suite de contresens.
Origines
nordiques
Progressivement
se développa l’idée que les dolmens étaient antérieurs
aux Celtes ou Gaulois, mais cette opinion chronologiquement plus exacte
ne s’accompagna pas d’un examen plus attentif des faits. Ainsi, A. Bertrand
(1863) comme grand nombre de ses contemporains, croit à l’existence
d’un "peuple des dolmens" progressivement chassé d’Asie,
de l’Europe septentrionale, des îles Britanniques puis de Gaule
et d’Espagne pour venir s’établir en Afrique du Nord. Dans le même
courant d’opinion, H. Martin, s’appuyant sur les découvertes de
l’égyptologie naissante qui faisait connaître, parmi les
peuplades libyennes qui attaquèrent l’Égypte au temps de
Mineptah et de Ramsès III, des Tamahous blonds, explique que des
"Gaulois" ayant franchi les Pyrénées et traversé
l’Espagne auraient conquis l’Afrique du Nord et implanté la civilisation
mégalithique avant de s’attaquer à l’Égypte.
La
présence indiscutable des populations ou plutôt d’individus
blonds aux yeux clairs dans plusieurs régions montagneuses proches
du littoral et actuellement berbérophones accrédita longtemps
la légende d’une origine nordique de ces peuples : européens
constructeurs de mégalithes pour les uns, Gaulois mercenaires de
Carthage pour les autres (on sait, ne serait-ce que par la lecture de
Salambô, à défaut de la Bibliothèque
historique de Diodore de Sicile, le rôle tenu par les Gaulois
dans la guerre des Mercenaires contre Carthage, entre les deux premières
guerres puniques), Gallo-romains enrôlés dans les légions
de l’Empire pour d’autres, ou bien encore descendants des pirates francs
qui au IIIe siècle fréquentaient les parages
du détroit de Gibraltar, Vandales enfin qui, après un siècle
de domination ne pouvaient avoir disparu sans laisser de traces dans la
population. N’allait-on pas jusqu’à retrouver dans le nom d’une
obscure fraction, les Germana (ou Djermana), le souvenir de ces Germains
réfugiés en Petite Kabylie après leur défaite ?
D’autres
arguments anthropologiques vinrent s’agglutiner aux divagations historico-archéologiques ;
ainsi J. Bourguignat reconnaît, à la suite de l’anthropologue
Pruner-Bey que les dolmens de Roknia étaient l’œuvre de tribus
berbères mêlées d’Égyptiens et de Nègres
"dominés par une race d’Arias descendant d’Italie en Sicile
et de Sicile en Afrique" (1868).
Berbères,
Ibères et Sumériens
Dans
les recherches des origines européennes des Berbères la
Péninsule ibérique a la préférence. Certaines
identités toponymiques troublantes entre les deux rives du Détroit,
noms de fleuves et de villes – récemment J. Desanges vient d’en
donner un précieux inventaire – appuient cette argumentation. Des
rapprochements, infiniment plus fragiles avec la langue basque permettent
de rappeler que Berbères et Ibères sont aussi proches par
l’onomastique que par la géographie. Comme l’Antiquité connaissait
des Ibères au Caucase, qui pourraient eux-mêmes être
les ancêtres des Ibères d’Occident, voici une autre origine
possible des Berbères : une philologie de l’à peu près,
expliquait aussi sérieusement, à l’aide de rapprochements
des plus fantaisistes, que les Berbères descendaient des… Sumériens !
Tour
à tour ont été évoqués l’Orient pris
globalement (Mèdes et Perses), la Syrie et le pays de Canaan, l’inde
et l’Arabie du Sud, la Thrace, la Mer Égée et l’Asie mineure,
mais aussi l’Europe du Nord, la Péninsule ibérique, les
îles et la Péninsule italiennes… Il est sûrement plus
difficile de rechercher les pays d’où ne viennent pas les Berbères
Il
est vrai que pour d’autres littérateurs pseudo-scientifiques, la
question trouve facilement sa solution : les Berbères sont
tout simplement les derniers Atlantes. Les "preuves" ne manquent
pas : l’Atlantide était située dans la partie de l’Océan
proche de la Libye, les Canaries en sont les débris. Les premiers
habitants de ces îles, les Guanches, ne parlaient-ils pas le berbère ?
LES
DONNÉES DE L’ANTHROPOLOGIE
La
formation de la population berbère, ou plus exactement des différents
groupes berbères, demeure une question très controversée
parce qu’elle fut mal posée. Les théories diffusionnistes
ont tellement pesé depuis l’origine des recherches que toute tentative
d’explication reposait traditionnellement sur des invasions, des migrations,
des conquêtes, des dominations. Et si les Berbères ne venaient
de nulle part ?
Plutôt
que de rechercher avec plus ou moins de bonheur de vagues ressemblances
de tous ordres et d’amalgamer des données de significations différentes,
voire contradictoires, ne vaut-il pas mieux commencer par examiner les
Berbères eux-mêmes et les restes humains ultérieurs
à l’époque historique, époque ou, nous le savons,
la population actuelle s’était déjà mise en place
?
En
un mot nous devons logiquement accorder la primauté à l’Anthropologie.
Mais celle-ci ne permet pas aujourd’hui de définir la moindre originalité
"berbère" dans l’ensemble de la population sud méditerranéenne.
Ce qui permet aujourd’hui encore de mentionner des groupes berbères
dans le quart nord-ouest de l’Afrique est d’autre qualité, culturelle
plus que physique. Parmi ces données culturelles la principale
demeure la langue.
Nous
examinerons donc successivement les données de l’Anthropologie
et celles de la linguistique.
L’Homo
sapiens du Maghreb
L’Homme
atérien
Sans
rechercher les origines mêmes de l’homme en Afrique du Nord, nous
devons cependant remonter allègrement les millénaires pour
comprendre comment s’est constitué le peuplement de cette vaste
région actuellement pincée entre le Désert et la
Méditerranée. Plaçons-nous au début de l’époque
qu’en Europe les préhistoriens nomment Paléolithique supérieur :
à ce moment vit déjà au Maghreb un homme de notre
espèce, Homo sapiens sapiens, plus primitif que son contemporain
européen, l’Homme de Cro-Magnon et qui est l’auteur de l’Atérien,
culture dérivée du Moustérien. Cet homme atérien
découvert à Dar es Soltan (Maroc) présente suffisamment
d’analogies avec l’homme moustérien du Djebel Irhoud pour qu'on
puisse admettre qu’il en soit issu. Plus intéressante encore est
la reconnaissance d’une filiation entre cet homme atérien et son
successeur, connu depuis fort longtemps au Maghreb sous le nom d’Homme
de Mechta el-Arbi.
Origines
de l’homme de Mechta el-Arbi
L’Homme
de Mechta el-Arbi est un cromagnoïde ; il en présente les
caractères physiques dominants : la grande taille (1,74 m
en moyenne pour les hommes), la forte capacité crânienne
(1650 cc), la disharmonie entre la face large et basse, aux orbites de
forme rectangulaire plus larges que hautes, et le crâne qui est
dolichocéphale ou mésocéphale.
À
ses débuts, l’Homme de Mechta el-Arbi est associé à
une industrie, nommée Ibéromaurusien, qui occupait toutes
les régions littorales et telliennes. L’Ibéromaurusien,
contemporain du Magdalénien et de l’Azilien européens, a
déjà les caractères d’une industrie épipaléolithique
en raison de la petite taille de ses pièces lithiques. Ce sont
très souvent de petites lamelles dont l’un des tranchants a été
abattu pour former un dos. Ces objets étaient des éléments
d’outils, des sortes de pièces détachées dont l’agencement
dans des manches en bois ou en os procurait des instruments ou des armes
efficaces.
Traditionnellement,
on pensait que l’Homme de Mechta el-Arbi, cousin de l’Homme de Cro-Magnon,
avait une origine extérieure. Les uns imaginaient les Hommes de
Mechta el-Arbi, venus d’Europe, traversant l’Espagne et le détroit
de Gibraltar pour se répandre à la fois au Maghreb et aux
îles Canaries dont les premiers habitants, les Guanches, avaient
conservé l’essentiel de leurs caractères physiques avant
de se mêler aux conquérants espagnols.
D’autres
pensaient que l’Homme de Mechta el-Arbi descendait d’Homo Sapiens apparu
en Orient (Homme de Palestine) et que de ce foyer originel s’étaient
développées deux migrations. Une branche européenne
aurait donné l’Homme de Cro-Magnon, une branche africaine aurait
mis en place l’Homme de Mechta el-Arbi.
Origine
orientale, origine européenne, deux éléments d’une
alternative que nous avons déjà reconnue dans les récits
légendaires de l’Antiquité ou dans les explications fantaisistes
de l’époque moderne et qui se retrouve dans les hypothèses
scientifiques actuelles. Malheureusement l’une et l’autre présentaient
de grandes anomalies qui les rendaient difficilement acceptables. Ainsi
la migration des Hommes de Cro-Magnon à travers l’Espagne ne peut
être jalonnée ; bien mieux, les crânes du Paléolithique
supérieur européen ont des caractères moins accusés
que leurs prétendus successeurs maghrébins. Les mêmes
arguments peuvent être opposés à l’hypothèse
d’une origine proche orientale des Hommes de Mechta el-Arbi : aucun
document anthropologique entre la Palestine et la Tunisie ne peut l’appuyer.
De plus, nous connaissons les habitants du Proche-Orient à la fin
du Paléolithique supérieur, ce sont les Natoufiens, de type
proto-méditerranéen, qui diffèrent considérablement
des Hommes de Mechta el-Arbi. Comment expliquer, si les Hommes de Mechta
el-Arbi ont une ascendance proche orientale, que leurs ancêtres
aient quitté en totalité ces régions sans y laisser
la moindre trace sur le plan anthropologique ?
Reste
donc l’origine locale, sur place, la plus simple (c’est la raison pour
laquelle sans doute on n’y croyait guère !) et, aujourd’hui la
plus évidente depuis la découverte de l’Homme atérien.
Les anthropologues spécialistes de l’Afrique du Nord comme D. Ferembach
et M.C. Chamla, admettent aujourd’hui une filiation directe, continue,
depuis les néandertaliens nord-africains (Hommes du Djebel Irhoud)
jusqu’aux Cromagnoïdes que sont les Hommes de Mechta el-Arbi. L’Homme
atérien de Dar es Soltane serait l’intermédiaire mais qui
aurait déjà acquis les caractères d’Homo sapiens
sapiens.
Le
type de Mechta el-Arbi va s’effacer progressivement devant d’autres hommes,
mais sa disparition ne fut jamais complète. Ainsi trouve-t-on encore
8% d’hommes mechtoïdes parmi les crânes conservés des
sépultures protohistoriques et puniques (Chamla, 1976). De l’époque
romaine, dont les restes humains ont longtemps été dédaignés
par les archéologues "classiques", on connaît encore
quelques crânes de l’Algérie orientale qui présentent
des caractères mechtoïdes. Du type de Mechta el-Arbi il subsiste
encore quelques très rares éléments dans la population
actuelle qui, dans sa quasi totalité, appartient aux différentes
variétés du type méditerranéen : quelques
sujets méso ou dolichocéphales à face basse, de taille
élevée, et au rapport cranio-facial dysharmonique, rappellent
les principaux caractères des Hommes de Mechta el-Arbi. Ils représentent
tout au plus 3 % de la population au Maghreb ; ils sont nettement plus
nombreux dans les îles Canaries.
Les
Protoméditerranéens Capsiens mangeurs d’escargots
On
ne peut cependant placer l’Homme de Mechta el-Arbi parmi les ancêtres
directes des Berbères.
Apparition
des Méditerranéens
À
partir du VIIIe millénaire, on voit apparaître
dans la partie orientale du Maghreb (nous sommes complètement ignorants
de ce qui se passait au même moment, sur le plan anthropologique,
dans les confins de l’Égypte et de la Libye), un nouveau type d’Homo
sapiens qui a déjà les caractères de certaines
populations méditerranéennes actuelles. Il est aussi de
taille élevée (1,75 m pour les hommes de Medjez II, 1,62
m pour les femmes), mais il se distingue de l’Homme de Mechta el-Arbi
par une moindre robustesse, un rapport crânio-facial plus harmonique
puisque à un dolichocrâne correspond une face haute et plus
étroite, les orbites sont plus carrées et le nez plus étroit.
Les reliefs osseux de ce nouveau type humain sont atténués,
l’angle de la mâchoire, en particulier, n’est pas déjeté
vers l’extérieur, il n’y a donc pas extroversion des gonions comme
disent les anthropologues. Or ce caractère est très fréquent,
sinon constant chez les Hommes de Mechta.
|
(a)
"Crâne de Taza" : Type Ibéromaurusien, composé en grande
partie de sapiens à l'aspect "cromagnoïde".
(b) "Hommes de Medjez" : Type capsien, considéré comme
Proto-Méditerranéen.
Images extraites de l'article Prothèse
dentaire préhistorique ostéo-implantée
|
Ce
type humain a reçu le qualificatif de Protoméditerranéen.
Des groupes anthropologiquement très proches se retrouvent, à
la même époque ou un peu avant en Orient (Natoufiens) et
dans divers pays de la Méditerranée où ils semblent
issus du type de Combe Capelle (appelé en Europe centrale Homme
de Brno) qui est distinct de l’Homme de Cro-Magnon. Aussi D. Ferembach
suppose l’existence en Orient, au Paléolithique supérieur,
d’un homme proche de Combe Capelle.
Manifestement
l’Homme de Mechta el-Arbi n’a pu donner naissance aux hommes protoméditerranéen.
Ceux-ci, qui vont progressivement le remplacer, apparaissent d’abord à
l’Est, tandis que les Hommes de Mechta el-Arbi sont encore, au Néolithique,
les plus nombreux dans l’Ouest du pays. Cette progression d’Est en Ouest
indique bien qu’il faut chercher au-delà des limites du Maghreb,
l’apparition de ce type humain protoméditerranéen. Un consensus
général de tous les spécialistes. anthropologues
et préhistoriens, se dégage aujourd’hui pour admettre qu’il
est venu du Proche-Orient.
On
peut, à la suite de M.C. Chamla, reconnaître parmi les Protoméditerranéens
deux variétés La plus fréquente, sous type de Médjez
II, au crâne élevé, est orthognate, le second, moins
répandu, celui de l’Aïn Dokkara, à voûte crânienne
plus basse, est parfois prognate, sans toutefois présenter les
caractères négroïdes sur lesquels on avait à
tort attiré l’attention.
La
civilisation capsienne
Ces
hommes sont porteurs d’une industrie préhistorique qui a reçu
le nom de Capsien, du nom antique de Gafsa (Capsa) auprès de laquelle
furent reconnus pour la première fois les constituants de cette
culture. Le Capsien couvre une période moins longue que l’Ibéromaurusien
; elle s’étend du VIIIe au Ve millénaire.
Grâce
au grand nombre de gisements plaisamment nommés escargotières
et à la qualité des fouilles qui y furent conduites, on
a une connaissance satisfaisante des Capsiens et de leurs activités.
On peut, dans leur cas, parler d’une civilisation dont les nombreux faciès
régionaux reconnus à travers la Tunisie et l’Algérie
révèlent certains traits constants. Sans nous appesantir
sur l’industrie de pierre caractérisée par des outils sur
lames et lamelles à bord abattu, des burins, des armatures de formes
géométriques (croissants, triangles, trapèzes), nous
rappellerons qu’elle est fort belle, remarquable par les qualités
du débitage, effectué parfois au cours du Capsien supérieur
par pression, ce qui donne des lamelles normalisées. Elle est remarquable
également par la précision de la retouche sur des pièces
d’une finesse extraordinaire, comme par exemple les micro-perçoirs
courbes dits de l’Aïn Khanga. Mais le Capsien possède d’autres
caractères qui ont pour l’archéologue et l’ethnologue une
importance plus grande, je veux parler de ses œuvres d’art. Elles sont
les plus anciennes en Afrique et on peut affirmer qu’elles sont à
l’origine des merveilles artistiques du Néolithique. Elles sont
même, et ceci est important, à l’origine de l’art berbère.
Il y a un tel air de parenté entre certains de ces décors
capsiens ou néolithiques et ceux dont les Berbères usent
encore dans leurs tatouages, tissages et peintures sur poterie ou sur
les murs, qu’il est difficile de rejeter toute continuité dans
ce goût inné pour le décor géométrique,
d’autant plus que les jalons ne manquent nullement des temps protohistoriques
jusqu’à l’époque moderne.
Les
premiers Berbères
Sur
le plan anthropologique les hommes capsiens présentent si peu de
différence avec les habitants actuels de l’Afrique du Nord, Berbères
et prétendus Arabes qui sont presque toujours des Berbères
arabisés, que les archéologues négligèrent
de conserver les squelettes découverts dans les escargotières
car ils croyaient qu’il s’agissait d’intrus inhumés à une
époque récente dans les buttes que constituent les gisements.
Un de ces crânes séjourna même un certain temps dans
le greffe du tribunal d’une petite ville d’Algérie orientale, Ain
M’Lila, car on avait cru à l’inhumation clandestine de la victime
d’un meurtre
Quoi
qu’il en soit nous tenons, avec les Protoméditerranéens
capsiens, les premiers Maghrébins que l’on peut, sans imprudence,
placer en tête de la lignée berbère. Cela se situe
il y a quelque 9 000 ans ! Certes tout concorde à faire admettre,
comme nous l’avons dit ci-dessus, que ces Capsiens ont une origine orientale.
Rien ne permet de croire à une brusque mutation des Mechtoïdes
en Méditerranéens alors que les Natoufiens du Proche Orient
dont les caractères anthropologiques affirmés antérieurement
aux Capsiens sont du même groupe humain qu’eux et dans leur civilisation
on peut retrouver certains traits culturels qui s’apparentent au Capsien.
Mais
cette arrivée est si ancienne qu’il n’est pas exagéré
de qualifier leurs descendants de vrais autochtones. Cette assertion est
d’autant plus recevable qu’il ne subsiste que quelques traces des premiers
occupants Mechtoïdes. Il est même troublant de constater que
si Protoméditerranéens et Mechta el-Arbi ont pendant longtemps
cohabité dans les mêmes régions, puisque ces derniers
ont survécu jusqu’au Néolithique, même dans la partie
orientale que fut "capsianisée" plus tôt, ils ne
se sont pas métissés entre eux. L’atténuation des
caractères mechtoïdes que l’anthropologue constate chez certaines
populations antérieures à l’arrivée des Protoméditerranéens,
ne peut s’expliquer que par une évolution interne répondant
au phénomène général de gracilisation. De
même, les Protoméditerranéens les plus robustes ou
les plus archaïques ne présentent aucun caractère mechtoïde
et les plus évolués s’écartent encore davantage de
ce type.
La
mise en place des Paléo-Berbères
Si
nous passons aux temps néolithiques il n’est pas possible de saisir
un changement notable dans l’évolution anthropologique du Maghreb.
On note la persistance du type de Mechta el-Arbi dans l’Ouest et même
sa progression vers le Sud le long des côtes atlantiques tandis
que le reste du Sahara, du moins au Sud du Tropique du Cancer, est alors
uniquement occupé par des négroïdes. Les Protoméditerranéens
s’étendent progressivement. Arrivés à l’aube des
temps historiques nous constatons que les hommes enterrés dans
les tumulus et autres monuments mégalithiques sont du type méditerranéen
quelle que soit leur localisation, sauf dans les régions méridionales
où des éléments négroïdes sont discernables.
Le Maghreb s’est donc, sur le plan anthropologique "méditerranéisé"
sinon déjà berbérisé.
Méditerranéens
robustes et Méditerranéens graciles
Mais
une autre constatation s’impose immédiatement : certains de
ces Méditerranéens sont de stature plus petite, leurs reliefs
musculaires plus effacés, les os moins épais, en un mot,
leur squelette est plus gracile. A vrai dire, les différences avec
les Protoméditerranéens ne sont pas tranchées :
il existe des formes de passage et de nombreuses transitions entre les
Méditerranéens robustes et les Méditerranéens
graciles. De plus, il n’y a pas eu élimination des uns par les
autres puisque ces deux sous-types de la race méditerranéenne
subsistent encore aujourd’hui. Les premiers forment le sous-type atlanto-méditerranéen
bien représenté en Europe depuis l’Italie du Nord jusqu’en
Galice le second est appelé ibéro-insulaire qui domine en
Espagne du Sud, dans les îles et l’Italie péninsulaire.
En
Afrique du Nord, ce sous-type est très largement répandu
dans la zone tellienne, en particulier dans les massifs littoraux, du
Nord de la Tunisie, en Kabylie, au Rif dans le Nord du Maroc, tandis que
le type robuste s’est mieux conservé chez les Berbères nomades
du Sahara (Touareg) dans les groupes nomades arabisés de l’Ouest
(Regueibat), chez les Marocains du Centre et surtout du Sud (Ait Atta,
Chleuh). Mais les deux variétés coexistent jusqu’à
nos jours dans les mêmes régions. Ainsi en Kabylie d’après
une étude récente de M.C. Chainla, le type méditerranéen
se rencontre dans 70 % de la population mais se subdivise en trois sous-types :
l’ibéro-insulaire dominant caractérisé par une stature
petite à moyenne, à face très étroite et longue,
l’atlanto-méditerranéen également bien représenté,
plus robuste et de stature plus élevée, mésocéphale,
un sous-type "saharien", moins fréquent (15 %) de stature
élevée, dolicocéphale à face longue.
Un
second élément qualifié d’alpin en raison de sa brachycéphalie,
sa face courte et sa stature peu élevée, représente
environ 10 % de la population, mais M.C. Chainla répugne à
les confondre avec des Alpins véritables et songe plutôt
à une variante "brachycéphalisée" du type
méditerranéen.
Un
troisième élément à affinités arménoïdes,
de fréquence égale au précédent, se caractérise
par une face allongée associée à un crâne brachycéphale.
En
quantités infimes s’ajoutent à ce stock quelques individus
conservant des caractères mechtoïdes, quelques métis
issus d’un élément négroïde plus ou moins ancien
et des sujets à pigmentation claire de la peau, des yeux et des
cheveux.
Complexité
et variabilité
Cet
exemple montre la diversité du peuplement du Maghreb. Mais nous
ne sommes plus au temps où la typologie raciale était le
but ultime de la recherche anthropologique. Il était alors tentant
d’assimiler les "types" ou "races" à des groupes
humains venant s’agglutiner, au cours des siècles, à un
ou plusieurs types plus anciens. Les recherches modernes, dans le monde
entier, ont montré combien l’homme était, dans son corps
infiniment plus malléable et sensible aux variations et particulièrement
à l’amélioration des conditions de vie. La croissance de
la taille, au cours des trois dernières générations,
est un phénomène général largement ressenti
et connu de l’opinion publique mais, aussi, facilement mesurable grâce
aux archives des bureaux de recrutement. En moins d’un siècle la
stature moyenne des Français a gagné 7 cm, ce qui est considérable
et ne s’explique ni par une invasion ni par l’émigration systématique
des hommes de petite taille. Cette croissance est due à l’amélioration
des conditions de vie, à une alimentation plus riche et surtout
à la disparition des travaux pénibles chez les enfants et
adolescents. De fait, cette croissance de la stature est inégale
entre les nations et, à l’intérieur de celle-ci, entre les
régions en relation directe avec les développements économiques.
Ainsi, entre 1927 et 1958, en quelques années, la stature moyenne
à Tizi-Ouzou (Kabylie, Algérie) est passée de 164,6
cm à 167,4 cm alors que dans la région voisine plus deshéritée
de Lakhdaria (ex. Palestro), de 1880 à 1958, l’augmentation ne
fut que de 1,2 cm et ne semble pas significative.
D’autres
travaux ont montré que la forme du crâne variait par "dérive
génétique" comme disent les biologistes sans qu’il
soit possible de faire appel au moindre apport étranger pour expliquer
ce phénomène. Des variations séculaires ont pu être
mises en lumière en France, ainsi les Auvergnats, de tendance dolichocéphale
au Moyen Age, Sont devenus brachycéphales ; leur crâne s’est
raccourci et élargi sans que la moindre invasion de la "race"
alpine d’Europe centrale ait pu modifier la composante humaine du Massif
central.
Cette
malléabilité, cette sensibilité aux facteurs extérieurs
tels que les conditions de vie et une orientation imprévisible
due au hasard de la génétique paraissent à bien des
anthropologues modernes, suffisantes pour faire l’économie de nombreuses
et mythiques migrations et invasions dans la constitution des populations
historiques. De nos jours l’évolution sur place paraît plus
probable.
Ainsi
M.C. Chamla explique l’apparition de la variété ibéro-insulaire
à l’intérieur du groupe méditerranéen africain
par le simple jeu de la gracilisation. Aucune différence de forme
n’apparaît entre les crânes des époques capsienne,
protohistorique et moderne ; seules varient les dimensions et dans un
sens général qui est celui de la gracilisation.
Une
Constante pression venue de l’Orient
Les
Protoméditerranéens capsiens constituent certes le fond
du peuplement actuel du Maghreb, mais le mouvement qui les amena, dans
les temps préhistoriques, du Proche-Orient en Afrique du Nord,
ne cessa à aucun moment. Ils ne sont que les prédécesseurs
d’une longue suite de groupes, certains peu nombreux, d’autres plus importants.
Ce mouvement, quasiment incessant au cours des millénaires, a été,
pour les besoins de la recherche archéologique ou historique, sectionné
en "invasions" ou "conquêtes" qui ne sont que
des moments d’une durée ininterrompue.
Après
les temps capsiens, en effet, au Néolithique, sont introduits animaux
domestiques, moutons et chèvres dont les souches sont exotiques
et les premières plantes cultivées qui sont elles aussi
d’origine extérieure : ces animaux et ces plantes ne sont
pas arrivés seuls, même si les hommes qui les introduisirent
pouvaient être fort peu nombreux. A cette époque la plus
grande partie du Sahara était occupée par des pasteurs négroïdes.
Il est possible que chassés par l’assèchement intervenu
après le IIIe millénaire, certains groupes se
soient déplacés vers le Nord et aient atteint le Maghreb.
Certains sujets négroïdes ont été reconnus dans
les gisements néolithiques du Sud Tunisien, et au IVe
siècle avant J.C., Diodore de Sicile connaît encore des populations
semblables aux Éthiopiens (c’est-à-dire des gens de peau
noire) dans le Tell tunisien, dans l’actuelle Kroumirie. Mais cet apport
proprement africain semble insignifiant par rapport au mouvement insidieux
mais continu qui se poursuit à l’Age des Métaux lorsque
apparaissent les éleveurs de chevaux, d’abord "Équidiens",
conducteurs de chars, puis cavaliers qui conquirent le Sahara en asservissant
les Éthiopiens. Ces cavaliers, les historiens grecs et latins les
nommeront Garamantes à l’Est, Gétules au Centre et à
l’Ouest. Leurs descendants, les Berbères sahariens, dominèrent
longtemps les Haratins qui semblent bien être les héritiers
des anciens Éthiopiens.
Au
cours même de la domination romaine, puis vandale et byzantine,
nous devinons de longs glissements de tribus plus ou moins turbulentes
à l’extérieur du Limes romain puis dans les terres
mêmes de ce qui avait été l’Empire. Ainsi la confédération
que les Romains nomment Levathae (prononcer Leouathae), et qui était
au IVe siècle en Tripolitaine, se retrouve au Moyen
Age, sous le nom de Leuata, entre l’Aurès et l’Ouarsenis. Ces Louata
appartiennent avec de nombreuses autres tribus au groupe Zénète,
le plus récent des groupes berbérophones dont la langue
se distingue assez nettement de celle des groupes plus anciens que l’on
pourrait nommer Paléo-berbères. Les troubles provoqués
par l’irruption zénète s’ajoutant aux convulsions politiques,
religieuses et économiques que subirent les provinces d’Afrique,
favorisèrent grandement les entreprises conquérantes des
Arabes. Quatre siècles plus tard, la succession des invasions bédouines,
des Beni Hilal, Solaym, Maqil, ne sont elles aussi, que des moments, retenus
par l’Histoire parce qu’elles eurent des conséquences catastrophiques,
d’un vaste mouvement qui débuta une dizaine de millénaires
plus tôt.
Les
apports méditerranéens
Si
la population du Maghreb a conservé, vis-à-vis du Proche-Orient,
une originalité certaine, tant physique que culturelle, c’est qu’un
second courant, nord-sud celui-ci, tout en interférant avec le
premier, a marqué puissamment de son empreinte ces terres d’Occident.
Ce
courant méditerranéen s’est manifesté dès
le Néolithique. Le littoral du Maghreb connaît alors les
mêmes cultures que les autres régions de la Méditerranée
occidentale, les mêmes styles de poterie. Tandis qu’au Sud du détroit
de Gibraltar apparaissent des techniques aussi caractéristiques
que le décor "cardial" fait à l’aide d’une coquille
de mollusque marin, style européen qui déborde sur le Nord
du Maroc, à l’Est se répandent les industries en obsidienne
venues des îles italiennes. En des âges plus récents,
la répartition de monuments funéraires, comme les dolmens
et les hypogées cubiques, ne peut s’expliquer que par un établissement
permanent d’un ou plusieurs groupes méditerranéens venus
d’Europe. Cet apport méditerranéen proprement dit a eu certes
plus d’importance culturelle qu’anthropologique. Mais si certains éléments
culturels peuvent, pour ainsi dire, voyager tout seuls, les monuments
et les rites funéraires me paraissent trop étroitement associés
aux ethnies pour qu’on puisse imaginer que la construction de dolmens
ou le creusement d’hypogées aient pu passer le détroit de
Sicile et se répandre dans l’Est du Maghreb sans que des populations
assez cohérentes les aient apportés avec elles.
Sans
réduire la primauté fondamentale du groupe protoméditerranéen
qui est continental, originaire de l’Est et qui connut des enrichissements
successifs, on ne doit pas négliger pour autant ces apports proprement
méditerranéens, plus récents, moins importants sur
le plan anthropologique, mais plus riches sur le plan culturel.
C’est
de l’interférence de ces deux éléments principaux
auxquels s’ajoutèrent des apports secondaires venus d’Espagne et
du Sahara que sont nées, au cours des siècles, la population
et la civilisation rurale du Maghreb.
LES
DONNÉES LINGUISTIQUES
L’apport
des études linguistiques ne peut être négligé
dans un essai de définition des origines berbères dans la
mesure où la langue est aujourd’hui le caractère le plus
original et le plus discriminant des groupes berbères disséminés
dans le quart nord-ouest du continent africain.
Une
indispensable prudence
Les
idiomes berbères adoptent et "berbérisent" facilement
nombre de vocables étrangers : on y trouve des mots latins,
arabes (parfois très nombreux on compte jusqu’à 35 % d’emprunts
lexicaux à l’arabe, en kabyle), français, espagnols… Il
semble que le libyque était tout aussi perméable aux invasions
lexicales, surtout en onomastique.
On
doit par conséquent se montrer très prudent devant les rapprochements
aussi nombreux qu’hasardeux proposés entre le berbère et
différentes langues anciennes par des amateurs ou des érudits
trop imprudents. D’après Bertholon le libyque aurait été
un dialecte hellénique importé par les Thraces ; d’autres
y voient des influences sumériennes ou touraniennes. Plus récemment
l’archétype basque a été mis en valeur, avec des
arguments à peine moins puérils. Les amateurs du début
du siècle croyaient, en effet, pouvoir fonder leurs apparentements
en constituant de longues listes de termes lexicaux parallélisés
à ceux de la langue de comparaison. De tels rapprochements sont
faciles, on peut ainsi noter de curieuses convergences de vocabulaire
aussi bien avec les dialectes amérindiens qu’avec le finnois.
Ces
dévergondages intellectuels expliquent l’attitude extrêmement
prudente des berbérisants qui, inconsciemment sans doute, désireraient
que soit reconnue l’originalité intrinsèque du berbère.
Cette attitude va même jusqu’à douter parfois de la parenté
entre le berbère et le libyque, ou, plus exactement, leur prudence
est telle qu’ils voudraient être bien sûrs que la langue transcrite
en caractères libyques fût une forme ancienne du berbère.
Cette
attitude plus que prudente apparaît dans un texte célèbre
d’A. Basset : "En somme la notion courante du berbère,
langue indigène et seule langue indigène jusqu’à
une période préhistorique... repose essentiellement sur
des arguments négatifs, le berbère ne nous ayant jamais
été présenté comme introduit, la présence,
la disparition d’une autre langue indigène ne nous ayant jamais
été clairement attestées" (La langue berbère.
L’Afrique et l’Asie, 1956).
Les
inscriptions libyques
Malgré
leur nombre et un siècle de recherches, les inscriptions libyques
demeurent en grande partie indéchiffrées. Comme le signalait
récemment S. Chaker (1973), cette situation est d’autant plus paradoxale
que les linguistes disposent de plusieurs atouts : des inscriptions
bilingues puniques-libyques et latines-libyques, et la connaissance de
la forme moderne de la langue ; car, si nous n’avons pas la preuve formelle
de l’unité linguistique des anciennes populations du Nord de l’Afrique,
toutes les données historiques, la toponymie, l’onomastique, le
lexique, les témoignages des auteurs arabes confirment la parenté
du libyque et du berbère. En reprenant l’argument négatif
dénoncé par A. Basset, mais combien déterminant à
mon avis, si le libyque n’est pas une forme ancienne du berbère
on ne voit pas quand et comment le berbère se serait constitué.
Les
raisons de l’échec relatif des études libyques s’expliquent,
en définitive, assez facilement : les berbérisants,
peu nombreux, soucieux de recenser les différents parlers berbères
n’ont guère, jusqu’à présent, apporté une
attention soutenue au libyque dont les inscriptions stéréotypées
ne sont pas, à leurs yeux, d’un grand intérêt. En
revanche, les amateurs ou les universitaires non berbérisants,
qui s’intéressaient à ces textes en raison de leur valeur
historique ou archéologique, n’étaient pas armés
pour cette étude.
Enfin
le système graphique du libyque, purement consonantique, se prête
mal à une reconstitution intégrale de la langue qu’il est
chargé de reproduire.
L’apparentement
du berbère
Cependant
l’apparentement du berbère avec d’autres langues, géographiquement
voisines fut proposé très tôt ; on peut même
dire dès le début des études. Dès 1838, Champollion,
préfaçant le Dictionnaire de la langue berbère
de Venture de Paradis, établissait une parenté entre
cette langue et l’Égyptien ancien. D’autres, plus nombreux, la
rapprochaient du sémitique. Il fallut attendre les progrès
décisifs réalisés dans l’étude du Sémitique
ancien pour que M. Cohen proposât, en 1924, l’intégration
du berbère dans une grande famille dite Chamito-Sémitique
qui comprend en outre l’Égyptien (et le Copte qui en est sa forme
moderne), le Couchitique et le Sémitique. Chacun de ces groupes
linguistiques a son originalité, mais ils présentent entre
eux de telles parentés que les différents spécialistes
finirent par se rallier à la thèse de M. Cohen.
Ces
parallélismes ne sont pas de simples analogies lexicales ; ils
affectent la structure même des langues comme le système
verbal, la conjugaison et l’aspect trilitère des racines, bien
qu’en berbère de nombreuses racines soient bilitères, mais
cet aspect est du à une "usure" phonétique particulièrement
forte en berbère et que reconnaissent tous les spécialistes.
Ce sont ces phénomènes d’érosion phonétique
qui, en rendant difficiles les comparaisons lexicales avec le Sémitique,
ont longtemps retenu les Berbérisants dans une attitude "isolationniste"
qui semble aujourd’hui dépassée.
Quoi
qu’il en soit, la parenté constatée à l’intérieur
du groupe Chamito-sémitique entre le berbère, l’égyptien
et le sémitique, ne peut que confirmer les données anthropologiques
qui militent, elles aussi, en faveur d’une très lointaine origine
orientale des Berbères.
Laboratoire
d’anthropologie et de préhistoire des pays de la Méditerranée
occidentale
Lexique
- Brachycéphale.
Dont le crâne arrondi est presque aussi large que long, en parlant
d’une personne ou d’un animal. "Tête ronde".
- Capsien
(de Capsa, nom antique de Gafsa). Se dit d’une culture préhistorique
de l’Afrique du Nord, qui correspond à la fin du Paléolithique
supérieur européen. Synonyme gétulien.
- Dolichocéphale
/ dolicrâne. Dont le crâne est allongé dans le
sens antéropostérieur, en parlant de l’homme. "Tête
longue".
- Orthognate.
Voir Prognathe.
- Prognathe.
Qui a une ou des mâchoire(s) proéminente(s) (par opp. à
orthognate).
Liens
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